vendredi 15 février 2013

Désormais les hétérosexuels ne sont plus normaux, seulement majoritaires



Pourquoi s’opposer, et avec tant de véhémence à un projet de loi qui ouvre des droits à ceux qui en étaient privés et ne vous en retire aucun ?

Cette interrogation étonnée accompagne inlassablement les manifestations d’opposition au mariage des couples de même sexe.

Pour y répondre, il faut s’écarter du droit, pour s’intéresser aux liens qui unissent rapports de domination et identité.

Dans un climat d’incertitude, largement alimenté par le sentiment d’être cerné par la crise, la tentation est grande de se raccrocher à ce qu’on imagine posséder.

L’enjeu de cette bataille, car c’en est une, dépasse évidemment le mariage, la filiation, la protection des couples et des familles. Les opposants ne s’y sont pas trompés quand ils proposent désormais de nous accorder des droits (même le Vatican y vient, espérant encore pouvoir éviter le pire). Tout sauf le mariage ! Tout sauf la filiation ! entonnent-ils en chœur.

Et au fond, ils ont raison, les homophobes, conscients ou inconscients, de se battre pied à pied pour que la citadelle du mariage ne tombe pas. Institution conservatrice et normative s’il en est.

Car, avec l’ouverture du mariage, c’est bien la norme hétérosexuelle elle-même qui tombe.

Venu afficher à l’intention de ses électeurs son opposition au projet de loi, dans le loft républicain qu’était devenu l’hémicycle ces derniers jours, Jean-Charles Taugourdeau, député UMP, nous a fourni une des clés du sentiment de dépossession qui anime si vigoureusement les opposants. « Quand, demain, quelqu’un dira qu’il est marié, on sera obligé de lui demander : Avec qui, un homme ou une femme ? » s’est-il insurgé.

A première vue, la sortie prête à sourire, on a envie de lui objecter oui et alors ? Pourtant, c’est sans doute une des phrases les plus parlantes du débat. Que nous dit-il ce député, si ce n’est que le mariage était un marqueur, peut-être même le marqueur ultime, qui servait, non seulement à différencier mais à hiérarchiser les orientations sexuelles.

Et pour certains, la terreur ne doit pas être très loin, il ne manquerait plus qu’on les prenne pour des pédés !

En effet, se marier, jusqu’ici, pour des Jean-Charles Taugourdeau, c’était affirmer qu’on était un homme. Pour un hétérosexuel masculin, c’était s’afficher comme membre de la caste dominante d’une structure pyramidale.

Voilà pourquoi, ils étaient prêts à sacrifier jusqu’au contenu du mariage du moment qu’on leur laissait l’étiquette.

En la leur retirant, on frôle la castration symbolique ! à cette lumière, l’agressivité avec laquelle, ils défendent ce qu’ils estiment être leur apanage ne doit plus nous étonner.

En outre, parce que ce sentiment mêle à la fois intime et construction inconsciente de l’identité des hétéros, il n’est pas surprenant non plus qu’il génère une forme de solidarité instinctive.

Tant que le mariage était réservé aux couples hétérosexuels il participait de l’affirmation de leur supériorité sur les homos, en s’ouvrant il installe une équivalence.

Et quoi qu’il soit prétendu, c’est bien cette équivalence que les opposants au projet de loi refusent. Qu’il s’agisse de conjugalité ou de filiation.

Car dès que les questions d’adoption et d’état civil ont été abordées, les objections se sont traduites, là encore, par une volonté de hiérarchisation, avec pour seul postulat qu’il était mieux pour un enfant qu’il ait des parents hétérosexuels plutôt qu’homosexuels. Le comble étant l’idée qu’on puisse un jour choisir de confier un enfant à un couple homo plutôt qu’à un couple hétéro.

Là encore la dépossession est analogue. On peut même penser qu’avec la désaffection progressive du mariage, la question de la filiation est venue peu à peu, elle aussi, s’inscrire sur ce terrain symbolique de l’affirmation identitaire.

On devient un homme ou une femme à part entière en devenant parent. Et plus il est difficile de trouver sa place dans la société (de réussir sa vie professionnelle), plus on mise sur la cellule familiale. Plus, il est compliqué de se réaliser, plus on s’attache à une transmission génétique.

Et tout à coup, la société proclame qu’il ne suffit plus d’être hétéros, pour être parents. Encore moins de bons parents. Il faudrait maintenant dans ce domaine-là, aussi, faire ses preuves, donner du sens, là où jusqu’à maintenant on se contentait d’être.

Horreur, crient-ils, vous allez supprimer les mots de père et mère. En fait, nous faisons bien pire. Nous inversons un processus, selon lequel, l’octroi de la qualité de père suffisait à faire d’un homme un père, peu importe quel père vous étiez. Fonction qu’il faudrait désormais investir !

Qu’est ce qu’un mari, qu’est ce qu’une épouse, un père ou une mère ? Nous allons indubitablement, y compris au corps défendant des plus conformistes d’entre nous qui ne demandaient qu’à enfiler des pantoufles, bouleverser des jeux de rôles prédéfinis qui ont bien du mal à se défaire de stéréotypes omniprésents.

Ne serait-ce que du fait, que dans un couple de femmes ou d’hommes, la répartition des rôles ne préexiste pas au couple.

Comme le dénoncent les opposants au projet de loi, les effets de l’ouverture du mariage vont affecter l’ensemble de la société. Ils s’en effraient.

Dans un monde qui échappe à leur contrôle, nous bousculons la sécurité imaginaire d’un ordre immuable. Grâce auquel, ils croient pouvoir chasser l’angoisse du lendemain en s’inscrivant dans une généalogie rassurante. Il en sera de mes enfants comme il en a été de mes parents, depuis toujours, veulent-ils penser, comme accrochés à un doudou.

Cette loi s’inscrit dans un mouvement d’émancipation. En cela, elle s’oppose à la subordination de la loi à un prétendu ordre naturel, piètre avatar d’un ordre hétéropatriarcal occidental et blanc où la place de chacun serait définie par une identité biologique.

L’ouverture du mariage ne leur retire aucun droit mais elle émancipe un peu plus la société française de l’ordre qu’ils entendent lui imposer, un ordre où il n’était pas tolérable qu’un homo puisse avoir la même valeur qu’un hétéro. Elle leur conteste le pouvoir de gouverner nos vies.

Contraints et forcés par nos luttes à nous concéder une place dans l’ombre qu’ils appellent sphère privée, ils devront désormais admettre notre légitimité dans la res publica car c’est ce qu’est le mariage : chose publique.

L’opposition ne cessera pas le combat pour autant. Il suffit de se référer aux luttes pour les droits des femmes ou pour les droits civiques pour mesurer ce qui nous attend encore.

Mais désormais, ce n’est plus l’homosexualité qui est anormale, c’est l’homophobie qui le devient. Ne nous en croyons pas néanmoins débarrassés. Il faudra faire face à des sursauts de violences. Il faudra aussi apprendre à contrer ses visages plus policés, moins aisés à démontrer, à faire entendre et à abattre.

Et surtout nous garder de nous faire nous-mêmes les acteurs d’un système de ségrégation légèrement ravalé dans lequel nous aurions simplement trouvé notre place. Ne pas nous couler dans le costume confortable de nouveaux notables n’est pas le moindre des défis qui s’ouvrent à nous. L’égalité des droits, les droits conjugaux et familiaux, ni même les droits des gays et des lesbiennes ne sauraient être l’alpha et l’oméga de nos mobilisations.

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